Il y a deux mois, se tenait à Bucarest, la capitale de la Roumanie, le XIe sommet de la Francophonie. Ce sommet dont le thème portait sur « La Francophonie vers la société informationnelle et du savoir par l’éducation pour tous » a connu des moments forts. Outre la réélection du Secrétaire général monsieur Abdou Diouf et l’admission de nouveaux pays, la politique internationale de l’organisation a été à l’ordre du jour. Autant de réalités qui témoignent de l’importance de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) sur la scène internationale. Cet article retrace les grandes étapes qui ont jalonnées le parcours de cette institution.
La francophonie: un néologisme inventé par Onésime Reclus
La « francophonie » est un néologisme inventé par le géographe français Onésime Reclus en 1880 dans son ouvrage France, Algérie et colonies . Il désigne sous ce mot l’ensemble des personnes et des pays vivant au-delà des frontières de la France et utilisant la langue française quotidiennement à des titres variés. Très tôt ce géographe français aura l’idée de classer les habitants de la planète en fonction de la langue utilisée dans leur famille ou dans leurs relations sociales plutôt que de les juger sur des critères classiques de l’époque tels que l’ethnie, la race ou les avancées sociales. Le facteur linguistique lui apparaît comme un élément essentiel dans cette deuxième moitié du 19e siècle marquée par l’abolition de l’esclavage et le début d’une expansion coloniale.
Outre la dimension linguistico-culturelle de la francophonie, Onésime Reclus en tant que fervent partisan des idéaux républicains de l’époque et grand militant de l’expansion coloniale française donne une dimension politique à ce mot. Il se fait l’ardent promoteur de l’aventure coloniale. Le continent africain apparaît très tôt comme sa cible privilégiée. Dans le premier chapitre de son ouvrage France, Algérie et colonies, il affirme que : « la France espère en ce continent. Déjà, dans les travaux et dans les larmes, elle vient d’y mettre au monde une nation nouvelle qui grandit sous les méridiens de Bayonne, de Toulouse, de Perpignan, de Nice, au milieu même du rivage septentrional de la terre mystérieuse dont les derniers secrets se découvrent » . Un peu plus loin il confirme que: « C’est ainsi que la France, fanée en Europe, refleurira peut être en Afrique. Nous sommes des vieillards, tout au moins des hommes flétris ; mais sans illusions pour nous-mêmes, nous rêvons des beaux destins pour notre dernier-né » . Dans d’autres ouvrages aux titres évocateurs tels que : le partage du monde, un grand destin commence, Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique : où renaître et comment durer ? Onésime Reclus a toujours prôné l’expansion coloniale française tournée vers l’Afrique. D’ailleurs n’a-t-il pas soutenu qu’il faille ériger « une Afrique française unifiée par la diffusion de la langue nationale ». A la mort de Onésime Reclus, en 1916, le mot va très vite tomber dans les oubliettes pour faire une nouvelle réapparition dans les années 1960 lors de la parution du numéro spécial de la revue Esprit, intitulé « Le Français dans le monde ».
Vers une francophonie institutionnelle
La Francophonie institutionnelle est celle dont l’initial commence par un « F » majuscule. Elle désigne l’ensemble des gouvernements, pays ou instances officielles qui ont en commun l’usage du Français dans leurs travaux ou leurs échanges. Cette notion qui a été initiée par le général De Gaulle doit son existence actuelle à cinq grandes personnalités que sont : le Sénégalais Léopold S. Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori, le Cambodgien Norodom Sihanouk et le Libanais Charles Hélou, tous originaires d’ex-colonies françaises. En effet juste après l’accession à l’indépendance pour bon nombre de ces pays en 1960, ces personnalités proposèrent de regrouper les pays nouvellement indépendants, qui éprouvaient la nécessité de poursuivre avec la France des relations fondées sur des affinités culturelles et linguistiques.
C’est ainsi qu’en 1960, des pays francophones créèrent la Conférence des ministres de l’éducation nationale des pays ayant en commun l’usage du français (CONFEMEN). Elle fut suivie de la création de l’Association des universités entièrement ou partiellement de langue française (AUPELF) en 1961. A cette époque la France apportait une aide à l’enseignement secondaire et universitaire à ses colonies. En 1967, la Francophonie franchit un autre pas en créant l’Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) (devenue Assemblée Parlementaire de la Francophonie en 1998). A travers ces étapes, on voit que la francophonie tente progressivement de se rendre visible. A la fin des années 60, se tient pour la première fois à Niamey la capitale du Niger, la première conférence des Etats francophones. Elle est placée sous le patronage d’André Malraux alors ministre français des affaires culturelles.
Le début des années 1970 marque un tournant décisif dans l’institutionnalisation de la francophonie. A l’initiative de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM), une charte portant la création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) fut signée par 21 pays le 24 mars 1970 à Niamey (Niger). Cette première institution de la francophonie avait pour devise: égalité, complémentarité, solidarité. En 1973, sous la houlette de Léopold Sédar Senghor du Sénégal qui réclama « un sommet Francophone », le premier sommet franco-africain se tient à Paris.
Mais la naissance effective de la Francophonie (la francophonie institutionnelle) a été scellée lors du premier sommet des chefs d’Etats et de gouvernements ayant l’usage du français en commun. Ce sommet a eu lieu à Paris et à Versailles en février 1986 et 42 délégations y ont pris part. A partir de cette date, la francophonie s’est toujours élargie au fil des ans. Après le deuxième sommet en 1987 au Québec, la communauté francophone a retenu la biennale. Le troisième se tiendra plus tard à DAKAR en 1989 et en 1991, Paris abritait le quatrième sommet où fut décidé la primauté politique en créant le conseil permanent de la Francophonie (CPF), qui est un organe composé des délégués de chefs d’états. En 1993, 47 états et gouvernements ont participé au cinquième sommet à Maurice. Ils ont répondu à l’appel du président français François Mitterrand. De cette rencontre est née l’idée de l’exception culturelle et les représentants des Etats membres ont demandé que les productions culturelles soient exclues des règles du libre échange. Lors du sommet de Cotonou en décembre 1995, la francophonie changera véritablement de vision en s’engageant dans le développement de l’autoroute de l’information, afin de favoriser la présence de toutes les langues et cultures qui constituent l’héritage commun de l’humanité.
Le tournant politique de la Francophonie
A Hanoï, le septième sommet qui s’est tenu en 1997, a produit un organe politique. La création du poste du Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie est considérée comme un pas de plus dans la démarche politique. C’est à cette occasion que M. Boutros-Boutros GHALI, sera nommé secrétaire général de cette institution. L’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) va devenir l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (A.I.F). Elle mènera des actions de coopération multilatérale dans de nombreux domaines : éducation et formation, culture et multimédia, nouvelles technologies de l’information et de la communication, coopération juridique et judiciaire, droits de l’Homme et démocratie, développement et solidarité économiques, énergie et environnement. En 2002 à Beyrouth, lors du neuvième sommet l’ancien président sénégalais Abdou Diouf sera élu Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. Le dixième sommet qui s’est tenu à Ouagadougou a opté pour un cadre stratégique décennal allant de 2005 à 2014 et avec pour thème : « la Francophonie un espace solidaire pour un développement durable».
Le dernier sommet en date est celui qui s’est tenu dans la capitale roumaine. Il s’est soldé par l’adoption de la déclaration de Bucarest basée sur le thème : « Les technologies de l’information par l’éducation » et sur la politique internationale de l’OIF. 5 (Cinq) résolutions ont été également adoptées par la conférence. Il s’agit du changement climatique, du positionnement d’une force onusienne en République centrafricaine, des migrations internationales et le développement, le déversement des déchets toxiques à Abidjan (Côte d’Ivoire), et le fonds mondial de solidarité numérique.
En gros nous pouvons dire que contrairement au modèle du Commonwealth, qui lie entre elles les nations autrefois attachées à la couronne britannique, les critères d’appartenance à l’OIF ne sont pas conditionnés par une histoire coloniale commune. Ils n’imposent pas non plus que le français soit la langue officielle dans tous les pays qui en sont membres.
Une communauté francophone de plus en plus élargie
Le dernier sommet de l’OIF, confirme l’idée selon laquelle la population de la communauté francophone est en pleine expansion. L’Albanie, l’Andorre, l’ex-République yougoslave de la Macédoine et la Grèce, auparavant membres associés sont devenus à l’occasion de ce sommet, membres de plein droit. Le Ghana et Chypre ont été admis en tant que membres associés tandis que Le Mozambique, la Serbie et l’Ukraine obtiennent le statut d’observateurs. Avec désormais 68 Etats et gouvernements adhérents, environ un tiers des membres de l’ONU (Organisation des nations unies), L’OIF revendiquerait plus de 750 millions d’habitants repartis sur les 5 (cinq) continents. Cependant environ 180 millions d’entre eux pratiqueraient effectivement à degré divers, le français.
En ce qui concerne les pays, si la France est la plus grande nation francophone en terme de locuteurs, force est de signaler que la République démocratique du Congo (l’ex-Zaïre), avec près de 55 millions d’habitants, est à juste titre considérée comme le plus grand espace francophone. Toutefois, il faut noter que le français, occupe le 9ème rang mondial des langues parlées, après le chinois, l’anglais, l’arabe, l’espagnol, le portugais. Cette langue a certes, perdu depuis lors un certain nombre de ses bastions, en dépit de cette donne, elle demeure officiellement, aux côtés de l’anglais, la langue de travail des principales organisations internationales.
La Francophonie est actuellement un organe consultatif des Nations Unies, au même titre que plusieurs institutions. Placée à cheval entre la culture, la politique et la coopération internationale en matière de développement, il n’est pas facile de donner la définition exacte de la Francophonie étant donné que sa vision et ses objectifs son multiples.
Jean-Jaques KONADJE